En septembre 1944 les batteries mobiles de lancement gagnent leurs positions en Ardenne Belge, à contre sens du repli des autres unités Allemandes.
Le premier tir stratégique de l’histoire aura donc pour cadre cette paisible région Ardennaise entre Gouvy et Sterpigny. La cible est Paris.
Nous vous proposons dans cet article le détail de cette première frappe stratégique de l’histoire, revenant sur les conditions de ce tir avec un reportage sur les lieux mêmes du tir et un autre sur le lieu de l’impact que nous avons retrouvé prés de Paris dans la commune de Maisons-Alfort.
GOUVY – STERPIGNY (Ardennes-Belges)
En septembre 1944 les batteries mobiles de lancement gagnent leurs positions en Ardenne Belge, à contre sens du repli des autres unités Allemandes.
Le premier tir stratégique de l’histoire aura donc pour cadre cette paisible région Ardennaise entre Gouvy et Sterpigny. Le Gruppe Süd composé de la 444ème Batterie Expérimentale ( Lehr und Versuchsbatterie 444 ) et du Artillerie Abteilung 836 n’est pas encore complètement déployé, toutes les unités n’ont pas encore reçu leur matériel spécial, seules deux Meillerwagen sont disponibles et en dotation dans la 444ème Batterie. Celle-ci va se mettre à la recherche d’emplacements favorables pour tirer les deux A4V2 récemment livrés, accompagnée par un personnage de marque spécialement venu pour cette première historique : le sombre SS Gruppenführer Hans Kammler commandant en chef du LXVème A. K. responsable des tirs d’armes V. Nous avons eu l’occasion de refaire le parcours de cette unité dans cette superbe région riche en vestiges de la seconde guerre mondiale mais datant pour la plupart de décembre 1944 lors de la contre offensive Allemande des Ardennes.
(carte de la région extraite du livre de Lambert Grailet)
Le 3 septembre 1944, un groupe d’officiers allemands se présente au château de Bois St Jean afin de réquisitionner le lieu pour y installer cantonnement et matériel car il s’agit de la première zone de déploiement prévue. L’insécurité suite à la présence de maquisards ne permettra pas de donner suite à ce projet d’installation. En effet, plusieurs groupes de résistants Belges y attendent des parachutages d’armes et de commandos afin d’organiser des actions sur les Allemands en retraite.
(photo aérienne du domaine de Bois St Jean)
Le 4 septembre, les unités de lancement sont à Bra en attente de faire mouvement vers leurs positions de tir ainsi que la 3ème compagnie technique du 91ème bataillon de transport qui elle se trouve à Odeigne.
Le 5 septembre, un accrochage va d’ailleurs avoir lieu entre des partisans et un groupe de reconnaissance de la 444ème Batterie ce qui va impliquer rapidement une révision des projets de déploiement.
(nouveau château de Bois St jean, l’ancien ayant été détruit en 1945)
Le SS Gruppenführer Hans Kammler porte alors son choix sur un autre lieu: le Plateau des Tailles 3 kilométres au Nord-Est du Bois St Jean.
Le 6 septembre, deux Meillerwagen avec deux engins A4V2, tout juste livrés par voie ferrée depuis la gare de Gouvy, commencent à quitter leur position du carrefour de La Baraque de Fraiture et se dirigent vers l’entrée du Vieux Chemin de Bihain près du village de Petites Tailles.
(carrefour de la Baraque de Fraiture )
(lieu probable du stationnement des éléments motorisés)
(carrefour à droite de l’autoroute)
(gare de Gouvy actuelle, lieu de déchargement des A4V2 et probablement de la Treibstoff-kolonne)
(en décembre 1944, le carrefour de la baraque de Fraiture sera l’objet d’intenses combats, un canon US rappelle les faits)
A l’entrée du Vieux Chemin de Bihain les deux fusées A4V2 sont dressées sur leur table de tir sous le camouflage des épicéas ”rabattus” à l’aide de cordes. Le lieu est parfaitement sécurisé par des barrages routiers tenus par des unités fortement armées en amont et en aval de la route. La Treibstoff-Kolonne quitte à son tour le carrefour de la Baraque de Fraiture pour venir effectuer le remplissage des réservoirs d’oxygène liquide et d’alcool.
(vieux chemin de Bihain)
En 1944, l’autoroute n’existait pas mais la zone marécageuse, en bas de la photo, pouvait empecher toute incursion des résistants vers le lieu de lancement.
(entrée du chemin avec ses épicéas très élancés)
L’objectif désigné est la cible n°0303, Paris.
A 9h00 après avoir pris soin d’écarter les arbres, la mise à feu de la première fusée est déclenchée du Feuerleitpanzer mais l’engin ne parvient pas à quitter sa table de tir.
A 9h40, même scénario pour le second A4. La défectuosité est due à l’humidité présente sur le plateau, qui a endommagé les mécanismes depuis leur livraison il y a 48 heures. Les unités techniques effectuent alors la vidange des réservoirs contenant le précieux combustible et replacent les A4 sur les Meillerwagen . L’ensemble des unités quitte alors le secteur pour repasser la frontière Allemande afin de réviser les engins.
(emplacement supposé du Feuerleitpanzer)
Le centre de commandement de la Lehr und Versuchsbatterie 444 quitte La Baraque de Fraiture et gagne Aldringen en Allemagne. Les unités sont maintenant stationnées au hameau de Breitfeld avec les fusées A4/V2 qui vont être vérifiées et révisées afin d’écarter toute nouvelle défectuosité.
Le 7 septembre en fin d’aprés midi, les convois repassent la frontière avec les Meillerwagen pour se diriger vers un nouveau lieu de tir situé entre Gouvy et Sterpigny au lieu dit Le Beuleu. L’emplacement choisi est un chemin de débardage forestier débouchant sur la N827. Les unités sont alors camouflées pour la nuit à proximité des emplacements de tir et attendent l’aube.
Au petit matin du 8 septembre, les Meillerwagen traversent le village de Gouvy non sans attirer l’attention de quelques habitants intrigués par l’aspect de ces véhicules. Les longues remorques gagnent ensuite les sites de tir choisis tandis que la Treibstoff-Kolonne reste en attente un peu plus loin sur la N827 au carrefour d’Halconreux certainement camouflée dans la descente menant au village afin de ne pas être repérée et attaquée par les avions Alliés.
(vue aérienne du carrefour)
(carrefour d’Halconreux)
Au Beuleu la première remorque se place dans le chemin par une adroite marche arrière et dresse l’A4 sur la table de tir afin que le remplissage des réservoirs puisse commencer. La seconde fusée est ensuite placée sur la route pour que les troupes techniques puissent effectuer préparatifs et réglages.
(entrée du chemin de débardage)
(emplacement présumé pour le premier tir au centre de la photo)
(emplacement présumé pour le second tir marqué par une stéle)
A 8h40, un bruit terrifiant déchire l’air et la première fusée A4V2 placée au fond du chemin de débardage s’élève lentement et oblique dans le ciel pour disparaître, terrifiant les populations voisines et même des soldats Allemands ignorant tout de cette nouvelle arme. L’objectif est toujours la ville de Paris mais ce premier A4/V2 ne l’atteindra jamais, certainement désintégré lors de sa rentrée dans l’atmosphère ou alors ayant continé sa course vers un autre lieu qui ne sera jamais identifié.
A 11h00, le second A4/V2 est tiré. Il poursuit sa course balistique sans encombre pour atteindre la cible 4 minutes 43 secondes plus tard en banlieue Parisienne après une distance de 325 kilomètres. L’impact est localisé sur Maisons Alfort, causant la mort de 6 personnes et faisant de nombreuses victimes. Les dégâts matériels sont également très importants suite au souffle puissant de l’explosion.
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Quelques minutes après le dernier tir, la Lehr und Versuchsbatterie 444 quitte les lieux pour rejoindre ses cantonnements. Selon Lambert Grailet, c’est à ce moment qu’un habitant du village voisin va venir constater les dégâts dans le bois. Il s’agit ici du propriétaire qui va se trouver confronté à un spectacle de désolation. Les arbres les plus proches des points de lancement ont brûlé de même que le revêtement de la route. C’est le témoignage de cet habitant qui allait permettre à Lambert Grailet d’identifier ce lieu comme étant l’aire de tir du premier V2.
Toutefois, selon des documents d’archives allemands une autre position de tir avait été également retenue sur la route entre Rettigny et Gouvy. Le lieu était bien boisé en 1944, cette couverture naturelle devait alors offrir le même camouflage que sur les sites de tir précédents. Il est également probable que cet emplacement ait été celui du premier tir, rien ne nous permettant à ce jour de l’affirmer. Ce lieu se trouve prés de la stèle marquant l’emplacement du crash d’un P47 Thunderbolt américain.
(Autre site de tir possible)
Voir la suite de l’article : 8 septembre 1944, Impact sur Maisons-Alfort
Sources :
* After the Battle -The Blitz – volume 3, page 449 à 453, 1990 – Jean Paul Pallud
* Première Mondiale pour le V2 sur PARIS – Lambert Grailet
* Le Bombardement de PARIS par V2 – Roland Hautefeuille – Revue Historique des Armées n° 166 mars 1987
* KTB 836 ( Kriegstagebuch)- IWM Londres
* http://www.gouvy.be/fr/Histoire/
* Vues aérienne Jean Luc Van Campenhout http://www.royalpatagoniansquadron.com/